QUALITE DE LA FORMATION

08/03/2016 08:05

QUALITE DE LA FORMATION

 

Le renforcement de l’évaluation de la qualité de la formation validé par le législateur concerne l’ensemble des acteurs du secteur et constitue un enjeu stratégique. Dans une tribune publiée le 2 mars 2016 par AEF, Jean-Pierre Willems analyse le référentiel que vient de publier le Bureau Veritas. Selon le consultant en droit de la formation, l’approche retenue conduit à maintenir "les organismes de formation dans un système ancien, daté, normalisé et référé à un format emprunté à celui de la formation initiale". Listant les "insuffisances et limites" de ce référentiel qui génère de la "confusion", il déplore son ancrage dans le modèle du stage classique "au contenu prédéterminé", l’impasse faite sur la vérification concrète de la compétence pédagogique des formateurs, la conception réductrice des formations distancielles et la non-prise en compte de l’activité réelle des Opca…

 

"Un des principaux organismes certificateurs vient de publier, dans le cadre de la mise en place au 1er janvier 2017 d’un référencement des organismes de formation, son référentiel de certification pour garantir la qualité de la formation. Ce référentiel confirme les craintes que l’on pouvait avoir en matière de normalisation de la qualité des formations tant il apparaît ancré dans des pratiques anciennes, prend peu en compte la réalité du champ de la formation et apparaît, au final, comme un facteur de non-qualité davantage que comme une contribution à l’amélioration des prestations des organismes auxquels il s’adresse.

Autrement dit, nous avons là un référentiel de certification des formations des années 1980, à l’époque triomphante du présentiel et du catalogue qui ne prend en compte aucune des évolutions de la formation dans ses modalités d’organisation, pédagogiques ou d’évaluation et fait une impasse quasi-absolue sur les conséquences de la loi du 5 mars 2014. Pas la meilleure manière, on en conviendra, de contribuer à l’amélioration de la qualité de la formation. Revue de détail des insuffisances et limites de ce référentiel.

 

DE LA CONFUSION SUR LE CONCEPT DE QUALITÉ DE LA FORMATION

Dès le premier paragraphe du référentiel, plusieurs confusions sont exprimées qui dénotent la faiblesse conceptuelle de la norme, aboutissant à de très (trop) friables fondations pour garantir un résultat pertinent. On peut notamment relever trois confusions :

"Les organismes de formation professionnelle doivent pouvoir démontrer la qualité de leur prestation, et ce pour l’ensemble de leur catalogue."

La norme est censée pouvoir certifier tout type de formation dans tout type d’organisme (paragraphe 2 du référentiel). Pour autant, la norme retient comme cadre de référence le catalogue de l’organisme de formation. Placer la notion de qualité d’emblée dans le cadre d’un "catalogue" c’est bâtir un système pour le futur basé sur un modèle ancien. Il n’est pas besoin d’être grand observateur du marché de la formation pour constater le déclin rapide de l’offre catalogue et le développement, encore plus rapide, de formats diversifiés de formation : construction d’offres sur-mesure, mise à disposition de ressources avec accompagnement, formations-actions basées sur l’analyse de pratiques, sessions de codéveloppement à vocation formatives… On voit nombre d’organismes de formation qui ont cessé de concevoir et de publier un catalogue et qui définissent leur activité de formation par des champs d’expertise dans lesquels ils sont capables de déployer selon des modalités diversifiées, et non des produits préétablis, une expertise. La

construction d’un référentiel sous l’angle quasi exclusif du catalogue témoigne donc des limites, et faiblesses, du référentiel.

Il s’agit d’une démarche résolument orientée vers la satisfaction du bénéficiaire de la formation, de l’organisation dont il dépend et des partenaires.

La formation professionnelle a ceci de particulier que dans la très grande majorité des cas, l’acheteur n’est pas le bénéficiaire. Cette dissociation entre le client et le consommateur est d’ailleurs une des difficultés qui s’offrent au formateur : à quels objectifs doit-il répondre dans un contexte où les injonctions paradoxales sont légion. Or, la question de l’alignement des objectifs échappe bien évidemment au prestataire de formation. D’autant plus que la formation n’est jamais une fin en soi et toujours un moyen. Ce qui signifie que ses objectifs finaux (valeur d’usage de la formation) sont toujours extérieurs aux objectifs de la formation (compétences à acquérir). Dès lors, la qualité orientée vers les résultats supposerait une certification de la qualité de l’achat de formation et non de la réalisation de la prestation. Quant à exiger que l’organisme de formation refuse de faire son métier de formateur si les conditions de réussite finale qui ne dépendent pas de lui ne sont pas réunies, on mesure l’absurdité économique d’une telle proposition pourtant inscrite en creux dans le référentiel.

Cette certification de services permet également aux organismes qui financent la formation professionnelle d’avoir l’assurance que les prestations de formation dispensées sont de qualité et efficaces.

Lier de manière aussi naïve la question de la qualité et de l’efficacité, c’est n’avoir établi aucune distinction entre les objectifs de la formation et sa valeur d’usage, comme indiqué ci-dessus. C’est présumer que qualité = efficacité, ce que toute personne sérieuse travaillant sur le sujet ne fait plus depuis des années.

C’est aussi renoncer à distinguer surtout ce que sont les conditions et critères de la qualité de la prestation, dans laquelle le prestataire de formation a une responsabilité directe, et les conditions et critères de l’efficacité de la formation qui ne peuvent jamais dépendre principalement de lui : je peux réaliser une formation de qualité aboutissant à une évolution de compétences permettant une maîtrise totale d’un métier… en situation de surnuméraire ce qui rendra plus difficile pour la personne concernée l’accès à l’activité. L’exigence de qualité aurait-elle dû me conduire à refuser l’accès à la formation voire à cesser de l’organiser ? Faire peser la responsabilité du projet, de son sens et de son opportunité sur le prestataire de formation n’est ni sérieux ni réaliste.

On pourrait ajouter une autre confusion figurant au paragraphe 2 qui prévoit que ce référentiel prend en compte toutes les modalités pédagogiques : formation en présentiel, e-learning et formation ouverte à distance.

Faut-il rappeler aux créateurs du référentiel que le mode d’organisation n’est pas une modalité pédagogique et que confondre les deux est une erreur grossière ? On peut faire de la pédagogie active en présentiel ou à distance, de la pédagogie participative en présentiel ou à distance, de la pédagogie "expositive" en présentiel ou à distance, etc. L’organisation de la formation n’est pas une pédagogie et ne la présuppose pas.

L’absence de maîtrise conceptuelle et méthodologique exprimée dans le cadre de référence de la norme en pose d’emblée les limites : référée à un modèle ancien et exclusif, celui du stage au contenu prédéterminé, autrement dit à la reproduction en formation continue du modèle de la formation initiale, la norme ne peut que se révéler inadaptée à établir la qualité des prestations de formation de toute nature comme elle y prétend.

INFORMATION SUR L’OFFRE

La rédaction de cette partie de la norme présuppose l’existence d’une offre de formation pré-constituée, dont la description emprunte essentiellement au format réglementaire. Or, comme indiqué ci-dessus, on peut avoir une activité de formation sans aucune offre ni catalogue. La possibilité de travailler sur la construction d’offres est toutefois envisagée par la norme qui prévoit que cette possibilité "doit figurer au catalogue".

Ce qui est conçu comme un accessoire d’une offre préétablie constitue en réalité aujourd’hui le choix stratégique de nombre d’organismes (et pas seulement pour ceux qui en douteraient, des organismes de petite taille voire des formateurs individuels).

 

CONCEPTION ET ACTUALISATION DES OFFRES

L’absence de cohérence du référentiel apparaît de manière criante dans cette partie de la norme : alors que toute la norme est centrée, comme nous l’avons vu, sur une offre préétablie et pré-constituée (offre catalogue), ce chapitre ne traite pas de la qualité de conception du catalogue mais ne traite que de la "demande de formation". Au lieu de distinguer deux modes de mise en place de formation : conception d’une offre et réponse à une demande, elle privilégie, à l’inverse des présupposés introductifs, le traitement de la demande dans une chaîne demande-conception-organisation-production-évaluation.

Or, pour les organismes travaillant sur catalogue et offre pré-constituée, il s’agit moins d’analyser les demandes que de concevoir des produits correspondant à des besoins. Les deux modes de production, pour le coup très traditionnels : soit réponse à demande, soit mise à disposition d’une offre pré-constituée, ne sont ici pas distingués et génèrent une nouvelle confusion.

 

QUALITÉ DES PRESTATIONS

Relevons ici deux approches très traditionnelles, et un peu limitées, de la compétence :

La compétence technique du formateur est garantie par son niveau de diplôme ou son expérience professionnelle. Depuis 2002, rappelons-le, il est possible de faire valider des expériences non professionnelles, qui sont donc reconnues comme permettant de développer des compétences. On engage les rédacteurs de la norme à se rendre au Numa (par exemple) pour voir de jeunes autodidactes former leurs homologues sur des outils nouveaux et à nous indiquer si ce travail est, ou non, de qualité… Plutôt que les traditionnels critères de diplôme ou d’expérience, on aurait pu souhaiter qu’une norme moderne engage un organisme de formation, dont c’est aussi le métier, à avoir un processus d’appréciation des compétences des formateurs, dont il aurait à se justifier mais sans norme de référence limitant arbitrairement les formes d’acquisition de ces compétences ;

Concernant la compétence pédagogique, les mêmes critères, ou presque, sont exigés : diplôme, formation ou expérience. Ce qui signifie qu’un formateur qui forme pour la première fois sans avoir été lui-même formé ne peut délivrer une formation de qualité. Alors qu’il a peut être développé des compétences d’animation dans un autre cadre que celui de la formation formelle. Ici aussi, la simple exigence d’avoir mis en place un dispositif de vérification de la compétence pédagogique aurait été plus inspiré.

On peut d’ailleurs noter que sur le maintien de la compétence des formateurs, la norme renvoie effectivement au fait que l’organisme doit veiller à ce que les formateurs conservent leur compétence technique, sans imposer de moyen obligatoire (la formation par exemple, ou l’exercice d’une activité). Pourquoi ne pas avoir retenu cette solution pour la compétence initiale ?

PÉDAGOGIE

La norme nous indique que "l’organisme de formation doit développer des méthodes pédagogiques et des supports permettant une participation active des stagiaires par des exercices/exemples en lien avec des situations professionnelles réelles".

On voit bien le modèle pédagogique de référence : la formation en salle (le paragraphe précédent impose quasiment une contractualisation sur la mise à disposition de locaux adaptés) est une formation théorique qui doit inclure un lien avec la pratique pour être de qualité. L’objectif de la norme n’est peut-être pas de développer l’innovation en formation, mais s’en tenir à ce point à un modèle pédagogique exclusif dans lequel le formateur est sommé de rendre concret son message, c’est avoir en tête le professeur et ses élèves sans avoir rien vu des méthodes diversifiées qui permettent les apprentissages sans même parler des détours pédagogiques. On reste tout de même un peu confondu que la qualité de la pédagogie en 2016 puisse être appréciée à travers l’existence "d’exercices et d’exemples" comme au temps des leçons de choses.

Il aurait suffi de rappeler ce qui n’est jamais qu’une exigence réglementaire : dans le champ de la formation professionnelle, toute pédagogie doit permettre l’acquisition de compétences utilisables en contexte professionnel. À charge pour l’organisme de formation de démontrer en quoi la pédagogie retenue y parvient.

 

CURSUS DU STAGIAIRE

La norme se veut calée sur les prescriptions règlementaires en matière notamment de contrôle des présences. Ainsi, elle reprend la position de l’administration sur les signatures à la demi-journée pour les formations en présentiel. Relevons que les tribunaux sont moins exigeants puisqu’ils admettent que le stagiaire atteste de sa participation à l’issue de la formation, quand bien même n’aurait-il pas signé au moment même de la formation. Le référentiel tend ici le bâton à ceux qui ne voient dans les processus qualité qu’une bureaucratisation qui ne dit pas son nom, caractérisée par le respect de processus formels sans préoccupation sur le sens et le résultat.

Si je signe le vendredi que j’ai bien été présent tous les jours de la semaine, où est le problème ?

Mais la prise en compte de l’exigence réglementaire s’évanouit lorsqu’il s’agit de formations distancielles dont on notera d’ailleurs que la norme les réduit au "e-learning", lequel n’est pourtant qu’une des multiples modalités de formation à distance. Et la norme s’en tient en ce domaine à reproduire le modèle du "présentiel à distance" en exigeant le relevé des connexions du stagiaire comme preuve de la formation. Oubliées les dispositions de la loi du 5 mars 2014 qui considèrent que la durée de formation peut être forfaitaire (et n’est donc pas tracée en tant que telle) et que les modes de preuve tiennent aux modalités du suivi pédagogique et aux productions réalisées par les stagiaires, qui représentent bien évidemment un temps de formation non traçable en ligne. Ici, la norme est clairement dans l’erreur et manifestement dans la non-conformité.

 

ORGANISATION DE LA FORMATION

La norme retient l’obligation d’évaluation à chaud par les stagiaires, avec remise des évaluations au formateur. On sait que ce modèle aboutit à un taux de plus de 90 % de satisfaction des stagiaires et qu’il a déjà été remis en cause par nombre d’organismes de formation qui pratiquent l’évaluation à distance et décalée dans le temps, notamment pour permettre la prise de recul par rapport à la formation et diminuer les effets d’empathie avec le formateur lors de l’évaluation. Que penser d’un processus qualité où le producteur est celui qui reçoit les évaluations au risque de les influencer ? La distinction entre le formateur et l’évaluateur est une règle de base dans les processus de certification. On est donc surpris qu’une fois de

plus un modèle ancien soit perpétué par la norme, et d’autant plus par des spécialistes de la qualité qui devraient être particulièrement attentifs à déconnecter la production et l’évaluation.

 

AMÉLIORATION CONTINUE DES PRESTATIONS

Après avoir sommé l’organisme de formation d’être évalué par les stagiaires, le voici tenu d’être évalué par les financeurs et/ou les commanditaires. Ce qui conduira, par exemple, les organismes de formation à envoyer des documents d’évaluation à l’Opca (Organisme paritaire collecteur agréé) et à l’entreprise lorsque celle-ci aura demandé une prise en charge financière. Les créateurs de la norme ont-ils en tête qu’un Opca finance souvent plus de 10 000 organismes de formation par an, ce qui devrait le conduire à produire au minimum 10 000 évaluations si l’on s’en tient à une évaluation globale par organisme, et plusieurs centaines de milliers si l’on conduit des évaluations par action.

Le cocasse de la situation c’est qu’un organisme de formation pourrait perdre la certification faute d’évaluation par le financeur et ne plus être financé par les Opca parce que ceux-ci n’ont pas établi les évaluations le concernant ! Pour une norme qui invite à prendre en compte les "situations professionnelles réelles" nous sommes tout de même assez loin du compte.

 

ET LE BILAN DE COMPÉTENCES, ET LA VAE, ET LA CERTIFICATION… ?

Totalement centré sur l’action de formation, le référentiel qui se veut conforme à la réglementation oublie totalement qu’elle inclut également les actions assimilées à la formation professionnelle que sont le bilan de compétence et la VAE (Validation des acquis de l’expérience). Comment certifier des prestataires de bilans de compétences ou réalisant des accompagnements VAE avec une telle norme ?

Et toujours en manque d’actualisation, le référentiel ne prend pas en compte les dispositifs de certification, pourtant largement présents depuis la loi du 5 mars 2014, et ne s’assure en rien de la capacité de l’organisme de formation à gérer des certifications incluses dans les processus de formation ou à garantir l’accès à la certification lorsqu’il ne fait que préparer les stagiaires à une certification délivrée par d’autres. Autrement dit, on pourrait considérer que nous disposons avec ce référentiel basé sur une réglementation nouvelle, d’un outil élaboré sous le champ des dispositions anciennes.

 

CONCLUSION

Si l’on pointe ici les limites et insuffisances, voire erreurs notamment pour les formations à distance, de la norme proposée, c’est surtout pour mettre en évidence un décalage très marqué entre l’évolution des modes de production des formations, de leur fonctionnement et de leur organisation, et la tentative, sous prétexte de qualité, de maintenir les organismes de formation dans un système ancien, daté, normalisé et référé à un format emprunté à celui de la formation initiale. C’est pour souligner combien toutes les tentatives de contrôle et de réglementation de la formation portent en germe le risque de fossilisation de la formation alors qu’elle même est sommée d’être un moyen de la performance et de l’innovation.

C’est enfin pour sortir d’un cercle particulièrement non vertueux : celui de la création de contraintes administrativo-financières (serait-ce sous l’appellation qualité) qui tracent un cadre contraignant déconnecté de la réalité, rendant ainsi inévitables les contournements aussitôt taxés de déviances justifiant un renforcement corrélatif des procédures inadaptées qui les ont générées. On aurait pu souhaiter que l’exigence de qualité soit plus ancrée dans la réalité des pratiques, leur diversité, ne soit pas empêchante, engage les organismes dans des voies de progrès, prenne en compte les nouvelles modalités de formation, dont le digital et le distanciel, d’une manière plus importante et plus professionnelle et au final s’inscrive dans le développement d’une véritable politique de qualité. Rappelons à ce sujet, tout particulièrement pour les Opca, que leur responsabilité n’est justement pas de mettre en place un contrôle 

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